Festival d'Avignon 2023 : Julien Masdoua évoque son nouveau spectacle, qu'il joue à 20h !

Publié le par Julian STOCKY

 

Bonjour Julien,

Quel plaisir de vous retrouver pour cette nouvelle interview !

Vous êtes actuellement sur scène, dans le cadre du festival d’Avignon 2023, avec la pièce « S’il ne nous reste que Shakespeare », à 20h, à la Fabrik’Théâtre. A titre personnel, on imagine la joie que cela doit être pour vous ?

Oui, oui, oui, c’est super ! J’avais déjà fait ce festival, pendant une dizaine d’années, il y a longtemps. C’était bien différent à l’époque, on n’était pas encore à 1 000 spectacles alors que, là, on dépasse les 1 500. En plus, c’est rigolo, Avignon est une ville où je ne mets malheureusement pas les pieds hors festival donc c’est bizarre de revenir, j’ai l’impression d’avoir traversé le temps. Je suis très content du coup d’être là !

Avec vos mots, comment présenter ce spectacle ?

Ce n’est pas une adaptation de Shakespeare, ce n’est pas non plus une pièce de Shakespeare mais c’est un spectacle dans lequel tout le texte est de Shakespeare. C’est le point de départ. On joue l’équipe d’un théâtre, qui reçoit des comédiens, campés par les spectateurs. On va étirer, pendant une heure, ces instants où, dans un vrai théâtre, on est en place, où on est prêt et où on attend que les « vrais » spectateurs arrivent, pour démarrer la pièce. Il y a un petit côté « En attendant Godot » dans l’intrigue mais le propos du spectacle est que, dès que l’on va ouvrir la bouche, dès que l’on va dire quelque chose – de terre à terre ou de plus profond-, on va le faire en utilisant une réplique qui provient d’une des pièces ou d’un des poèmes de Shakespeare. En quelque sorte, on parle une langue, qui serait le Shakespeare.

Si on revient à l’origine de ce projet, comment en avez-vous eu l’idée et l’envie ? On peut penser aussi que vous avez dû ensuite faire face à différentes contraintes, pour garder une cohérence dans l’histoire ?

Oui, il ne fallait pas que ça ait l’air ni d’un best-of, ni d’un patchwork, ni d’une série de citations, il fallait vraiment que ce soit une vraie pièce. J’ai fait cela pendant le premier confinement. J’ai toujours beaucoup aimé Shakespeare, j’adore l’Angleterre, je ne savais pas laquelle de ses pièces adapter, je n’arrivais pas à me décider et, en même temps, je n’arrivais pas à trouver une idée ou avoir une envie par rapport à une mise en scène. Tellement de choses géniales avaient déjà été faites, un peu partout dans le monde, je n’arrivais pas à voir ce que je pouvais apporter. Vu qu’elles me plaisent toutes, je m’étais alors dit que j’allais me faire plaisir !

J’avais déjà fait ce travail sur Sherlock Holmes quelques années auparavant, pour Avignon notamment. Grand fan du personnage, j’avais pris les passages que j’adorais et j’ai voulu faire de même cette fois-ci encore. Très rapidement, je me suis rendu compte que ça ne marchait pas ici. Comme je fais de l’impro, j’ai alors eu l’envie de quelque chose d’ambitieux : un spectacle d’impro dans lequel on n’aurait le droit de ne parler qu’avec des répliques de Shakespeare. J’ai vite compris que c’était infaisable donc j’ai choisi de finalement le faire quand même mais pas en impro, plutôt en parlant le Shakespeare.

Un mot peut-être sur votre personnage ?

Les personnages ont une double identité. Au premier degré, il fallait que l’on représente l’équipe d’un théâtre, on a l’ouvreuse, le régisseur, la directrice de théâtre et je suis l’agent d’entretien, un peu l’homme à tout faire. Ensuite, on a essayé de travailler sur les archétypes shakespeariens. Donc le régisseur est un peu tous ces personnages de rois, d’hommes de pouvoir, un peu cruels, un peu toujours en colère, un peu bougons, un peu tonitruants. L’ouvreuse est le personnage de l’ingénu. Mon personnage est un peu l’équivalent du Scapin chez Molière, un peu virevoltant. Et la directrice est plus sur la raison, sur des personnages de sorcières, un peu omniscient, qui ont la sagesse et que l’on sent capables de dominer le destin des autres.

 

 

Quels principaux retours avez-vous déjà pu avoir du public ?

Ils sont excellents ! On ne pouvait pas rêver mieux, je ne m’attendais pas à cela, je savais que la pièce marchait, qu’elle tenait debout mais je ne pensais pas voir une telle réaction émotionnelle du public. Beaucoup de gens sortent en pleurant, certaines personnes ne peuvent pas me parler et ont besoin de s’isoler. On parle du théâtre et de la place du spectateur mais on se base sur la vision de Shakespeare qu’il développe dans « Comme il vous plaira », quand il dit que « le monde entier est un théâtre, que l’on est tous des acteurs ». Cela va au-delà du concept du théâtre, il y a une conception du monde, derrière cette réflexion, qui parle, au premier degré, de cette société où on est obligés, tous, de remplir notre rôle et de porter des masques. On va même encore plus loin que ça : dans le monologue de fin du spectacle, il y a une considération sur le temps, sur la vie, sur notre passage sur terre. A l’image d’une pièce de théâtre qui voit naitre et mourir un personnage, notre existence se résume aussi à cela en vrai.

Dans les mots de Shakespeare, il y a une justesse qui a traversé les siècles et qui parle aux gens. Quand ils sortent de là, ils le prennent en pleine figure et je pense que ça résonne, quel que soit le vécu de chacun : on pense aux gens que l’on a perdus, peut-être à des gens en souffrance ou proches de leur fin de vie, on pense aussi aux enfants qui sont petits et qui ont tout cela à découvrir, je crois que l’on réfléchit également aux épreuves que l’on a dû traverser, parfois très récemment ou en cours. Donc la résonnance est forte ! On a vraiment quelque chose de très émotionnel, qui ressort de façon impressionnante, avant même les compliments sur le travail.

Ce spectacle permet aussi une palette de jeu large et variée pour chacun, ce qui doit être un vrai plaisir collégial…

Ah oui ! On se connait tous très très bien. Pour la plupart, ce sont des gens avec qui je travaille depuis vingt ans, on a déjà fait des dizaines de spectacles ensemble donc c’est un vrai plaisir ! L’avantage aussi d’être auteur, metteur en scène et comédien est que je m’écris des choses que j’ai envie de jouer. Je voulais également offrir un panel de la diversité de l’œuvre de Shakespeare donc on a des moments qui sont très comédie, où les gens rigolent beaucoup, on a des moments où on ne parle pas et des moments profondément dramatiques. Sans oublier ces moments poétiques, connus des œuvres de Shakespeare. Je tenais également à ce que chaque comédien et comédienne ait son moment de monologue, le monologue étant lui aussi très important dans l’œuvre de l’auteur. Je crois que celui du régisseur a quelque chose comme 27 ou 28 pièces différentes comme source, il y en a une quinzaine dans le mien notamment. Au final, on garde bien sûr de la cohérence et c’est chouette !

Que peut-on vous souhaiter pour la suite du festival ?

Plus de spectateurs ! La difficulté avec une pièce comme celle-là est qu’elle n’est pas facilement identifiable en termes de genre et d’attentes de la part du public. J’ai la sensation que, plus on avance, moins les spectateurs prennent de risque. Je pense que c’est lié notamment aux plateformes et à ce système de vidéos à la demande. A l’époque, on donnait davantage sa chance au produit, là je crois que les gens veulent vraiment savoir à l’avance ce qu’ils vont voir. Du coup, je pense qu’il y a une réticence du public à aller voir des choses qui ne sont pas identifiées clairement. La culture française a cela de différent avec la culture anglaise que celle-ci va vraiment mettre en avant l’idée de surprise, d’originalité et de contre-courant. Là où nous sommes davantage conservateurs. C’est donc un peu plus compliqué de remplir la salle. C’est vrai que, tous les jours, je suis en train de tracter dans la rue pour démarcher des gens et leur expliquer le spectacle. Une fois que je le leur ai expliqué, ils le comprennent et, une fois qu’ils y sont, ils sont convaincus, ils sont gratifiés à la hauteur du risque qu’ils ont pris et ça leur plait. Donc, pour résumer, ce que l’on peut nous souhaiter, c’est qu’il y ait un peu plus de gens qui prennent le « risque » de venir nous voir.

Merci, Julien, pour toutes vos réponses !

Publié dans Théâtre

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