RMC : Jean-Luc Roy évoque sa passion pour la F1, ses commentaires à l'antenne, ses souvenirs et la saison en cours !
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Bonjour Jean-Luc,
Quel plaisir d’effectuer cette interview avec vous !
Nous pouvons vous retrouver sur les antennes de RMC aux commentaires des grands prix de Formule 1. A titre personnel, on imagine sans doute la joie que cela doit être pour vous de pouvoir transmettre aux auditeurs votre passion de ce sport mécanique ?
Tout à fait, vous avez bien résumé ! Avant tout, je suis passionné de sports mécaniques depuis toujours, j’ai réussi à faire de ma passion mon métier et j’ai eu la chance de l’exercer sous différentes formes : comme beaucoup de monde, j’ai commencé par la presse écrite, puis par la radio au début des années 80, ce qui ne nous rajeunit pas, suivie de la télé en 86 avec la 5 et je continue avec RMC depuis 2002. J’y ai même animé l’émission « Motors » jusqu’en 2019, tous les dimanches, en direct pendant 2 heures.
Oui, c’est un grand plaisir de partager cette passion avec les auditeurs et avec les passionnés. On ne commente pas pareil un grand prix de Formule 1 à la télévision ou à la radio…J’en ai faits à peu près 500 maintenant au total, je pense, même si je n’ai jamais compté, beaucoup avec Patrick Tambay, qui était mon ami et mon complice.
La radio est un vecteur d’émotion et de transmission, avec l’objectif de partager aux auditeurs ce qui se passe, notamment l’intensité de la course et des rebondissements…
Bien sûr ! Notre mission est d’essayer de transmettre ce que nous avons la chance de vivre. Ce qu’il y a de formidable aussi, c’est que l’on s’adresse à des passionnés, qui connaissent les évènements presque aussi bien que nous, notamment grâce aux différents canaux d’informations existant aujourd’hui. Notre métier est d’essayer de fournir les informations que les gens n’ont pas forcément ou de les aider à comprendre, en leur expliquant, avec la modeste expérience que l’on peut avoir, ce qui se passe sur la piste et pourquoi ça se passe comme ça…C’est un sport mécanique donc le facteur mécanique est extrêmement important. C’est différent d’autres sports plus athlétiques : il y a bien sûr l’élément humain, avec les champions, les équipes, les ingénieurs, les teams managers et les directeurs de course qui, parfois, peuvent peser sur le déroulement et le résultat des courses, mais il y a évidemment aussi l’élément mécanique, qu’il faut bien comprendre. Ce dernier permet d’expliquer aussi les raisons pour lesquelles une équipe ou un pilote se retrouvent, à un moment, dans une position extrêmement favorable. C’est là que l’on voit les grands champions…
Si on recolle à l’actualité, on voit un Verstappen qui est capable de faire des exploits absolus avec, pour moi, une monoplace qui est la quatrième du plateau. Certains disent même la cinquième…Donc c’est vraiment le talent du pilote, malgré tout, qui fait la différence !
En live, à la radio, l’exercice de la voix demande aussi de s’adapter à l’intensité de la course et à ce qui se passe en piste…
Bien sûr ! De toute façon, on dit toujours que l’on est servi par l’évènement. Il ne faut pas mentir, je pense, aux gens. En tout cas, j’essaie de ne jamais le faire…On peut parfois, effectivement, essayer de trouver des sujets d’intérêt et c’est normal : si une course est fastidieuse pour ne pas dire ennuyeuse, on ne va pas leur dire qu’elle est nulle et qu’ils peuvent partir. Non, notre rôle, c’est normal, est d’essayer de trouver des centres d’intérêt. En radio, l’avantage est que nous ne sommes pas tributaires de l’image : je suis parfaitement capable de vous décrire une bataille entre le dixième et le onzième, pour le dernier point qui compte, et de m’intéresser, grâce à mon live timing, aux écarts, même s’il n’y a pas une image qui passe parce que le réalisateur ou le diffuseur ont décidé de ne pas les montrer, et parce qu’on ne peut pas, en télé, être partout.
J’ai aussi eu la chance, à l’époque, de faire les débuts du numérique sur la Formule 1, avec Kiosque sur Canal. J’ai commenté les grand prix avec Patrick Tambay, de 1997 à 2002 inclus. Ce système était, à l’époque, pionnier…On m’en parle encore…Les abonnés – on peut le dévoiler aujourd’hui, il y en avait quand même plus de 100 000, alors que c’était gratuit sur TF1 – avaient la possibilité de choisir la manière de vivre le grand prix : soit le signal général, que je commentais donc avec Patrick, soit d’aller sur la course en tête, sur la course en paquet, sur les caméras embarquées, sur la caméra dans les stands, sur les datas. Cela remonte presque il y a une trentaine d’années maintenant, on était en avance sur le système et sur ce que c’est devenu.
Certainement que le travail en amont de l’antenne est important mais que ce qui se passe en live sur la piste est prédominant…
Oui, oui ! J’ai la fâcheuse habitude, en tant qu’ancien, d’avoir du papier autour de moi : j’ai beaucoup de choses dans la tête mais, d’un coup d’œil, je peux retrouver, au besoin, les informations. Je m’efforce de ne pas assener des chiffres, je trouve que ça n’a pas d’intérêt de sortir une longue litanie, il faut donner, à mon sens, ce qu’il faut comme éléments d’information précis parce qu’on n’a pas tout en tête mais pas trop. Pour essayer d’avoir les clés du grand prix parce qu’il y a telles caractéristiques, que ce circuit est ainsi, qu’il s’est passé ça, que les faits marquants sont ceci,…On ressort ces éléments à bon escient, en fonction de ce qui se passe. C’est, malgré tout, le factuel, avec le déroulement du grand prix, qui va guider. Comme je l’évoquais tout à l’heure, plus l’évènement est intense et passionnant, meilleur notre travail est !
Quels principaux retours pouvez-vous avoir de la part de vos auditeurs ?
Les meilleurs retours que je puisse avoir sont quand quelqu’un m’arrête, notamment sur les circuits où je vais évidemment de moins en moins, pour me dire « Je vous écoute depuis longtemps et je vous ai toujours apprécié ». C’est le meilleur des retours ! Après, parfois, on peut déplaire à untel ou untel parce qu’un passionné est un jusqu’auboutiste donc il ne veut pas entendre la moindre critique à l’égard de son favori…On peut parler de Lewis, aujourd’hui, que tout le monde admire pour son palmarès exceptionnel, c’est vrai qu’il est dans une période un peu délicate, l’adaptation chez Ferrari est un petit peu difficile, d’autant que la voiture n’est pas au niveau souhaité par tout le monde mais je crois qu’il faut accepter. Lui, le premier, se critique…Je viens d’ailleurs de lire, juste avant le grand prix de Djeddah, qu’il a répondu, à la question « Qu’est-ce qu’il manque ? » qu’il « faudrait lui greffer un cerveau », c’est tout dire…Quand lui est à ce point dur avec lui-même et que, parce que c’est un champion, il n’admet pas de se retrouver là où il se retrouve par rapport à son équipier, je crois que, là aussi, « sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ». C’est de Beaumarchais donc ce n’est pas nouveau mais je crois que c’est aussi adapté au sport.
De votre déjà belle et longue carrière, retenez-vous certains moments en particulier ou certains pilotes, qui vous auraient particulièrement marqué ?
C’est une évidence absolue pour ce qui me concerne, et je ne manque jamais d’y faire référence : pour moi, Ayrton Senna était vraiment un monument ! A l’époque, on avait le privilège de côtoyer les pilotes sur les circuits, ce qui est totalement impossible aujourd’hui, puisqu’ils sont en cage : on nous les sort trois minutes pour les français, trois minutes pour les allemands, trois minutes pour les italiens, …en plus, le discours est prémâché et surveillé. J’ai dû interviewer au moins 20 fois Ayrton Senna face to face, comme on dit aujourd’hui : à la fin d’une séance d’essais ou de qualification, j’étais avec mon caméraman, je faisais signe à Ayrton pour savoir s’il acceptait puis, le cas échéant, je lui tendais un micro pour avoir quelques réactions spontanées.
Je ne peux pas ne pas évoquer sa quinzième pole, à Estoril, au Portugal. Il était encore chez Lotus et je me doutais qu’il allait signer la pole parce que c’était un circuit pour lui. Il signe cette pole avec le moteur Renault turbo, je suis avec mon caméraman, il s’arrête, il sort de sa voiture, se met debout et tend les bras. J’avais à côté de moi Gérard Ducarouge, son ingénieur français que je connaissais très bien…Je fais signe à Ayrton, qui me répond ok, il enlève son casque, il enlève sa cagoule et je lui pose la première question bateau, comme on fait dans ces cas-là, « Alors, Ayrton, comment s’est passée cette pôle, votre quinzième ? ». Je m’attendais à une réponse pour repartir, après, sur autre chose mais, là, il est parti dans un débriefing absolument complet ! Comme il y avait Ducarouge à côté, il parlait, en fait, à son ingénieur, tout en me répondant : « Je sors de la parabolique à telle vitesse, je suis à tel régime, j’ai le temps de jeter un coup d’œil aux pneus,… »…Incroyable, à chaque fois j’en ai des frissons ! Cela a duré 8 minutes 30, je lui ai simplement répondu « Merci, Ayrton ». C’était impossible à monter, on ne pouvait rien couper…Je n’ai malheureusement pas gardé la cassette, c’était un de mes plus grands souvenirs et un de mes plus grands regrets.
Par rapport aux écarts d’aujourd’hui, il y avait des gouffres : je rappelle qu’à Monaco, pour la pole de 1989, il met 1 seconde 8 à Alain Prost avec la McLaren. On sait qu’il a raconté après qu’il était dans un état second et que lui-même se regardait piloter…C’est là que certains l’ont traité de fou, en disant qu’il est mystique parce qu’effectivement, il était croyant et qu’il n’en faisait pas mystère. Quand il a commencé à dévoiler cet aspect de sa personnalité, certains, notamment Nelson Piquet, son ennemi intime, l’un étant de Rio, l’autre de Sao Paulo, ont dit qu’il était complètement fou et dangereux…
Oui, ce sont des souvenirs formidables ! Il y a eu aussi d’autres très très belles époques. J’ai vécu le premier titre de Jacques Villeneuve, avec la Williams. Là aussi, on se rappelle des histoires et de toute la tension terrible lors du grand prix précédent, au Japon. J’y étais…Ses temps avaient été annulés, soi-disant parce qu’il les avait faits avec un drapeau jaune…C’était toute une salade mais, comme cela, on arrivait à Jerez, pour le dernier grand prix, avec les deux derniers pilotes quasiment à égalité. Là, on a d’ailleurs ce qui ne s’est jamais reproduit, depuis, en Formule 1, trois pilotes dans le même millième de seconde…Oh, comme c’est curieux ! Jacques, Frentzen et Schumacher. Après, Schumacher fait ce geste ignoble en course et, là, tout le monde comprend ce qui se passe…
Donc j’ai beaucoup de souvenirs, des très très beaux et, malheureusement, des plus douloureux, avec des personnes que je connaissais très bien, comme Jules Bianchi. C’est très douloureux ! Mais bon, c’est un sport mécanique, c’est un sport dangereux et c’est, pour moi, ce qui en fait un très grand sport. C’est pour cela que j’adore aussi la moto, parce qu’il y a un élément de plus que dans les autres sports, c’est le danger : on met sa vie et son existence en péril…Pour moi, il n’y a rien de plus beau !
Pour en revenir à l’actualité, quel regard portez-vous sur ce début de saison 2025 ?
Il est passionnant, je ne vais pas dire le contraire ! Même si la domination des McLaren est relativement évidente - bien que Norris n’aime pas que l’on dise ça, ils ont la meilleure voiture, ce que Piastri admet volontiers – malgré tout, le talent de Verstappen lui permet d’exister et d’être là. Il reste donc dans le championnat avec la quatrième voiture du plateau, ce qui est exceptionnel. On a un Georges Russell qui est un garçon très discret mais qui est là, qui est sur le podium pratiquement tout le temps et qui est toujours dans la course pour le titre. J’espère, comme tout le monde, que les Ferrari vont revenir dans le coup et que la machine va progresser. J’adore Charles Leclerc, ce n’est pas une nouveauté, je le connais assez bien, c’est un type bien, c’est un vrai passionné, il est chez lui chez Ferrari et je trouverais comme une récompense au moins qu’il se batte pour le titre jusqu’au bout de la saison. Les écarts sont tellement serrés qu’il suffit de récupérer 3 à 4 dixièmes au tour, ce qui n’est rien, pour les raisons que j’ai évoquées, par rapport aux écarts que l’on avait encore il y a quelques années.
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On l’a vu l’an dernier avec les nouveautés de McLaren à Miami, malgré le budget cap, la longueur de la saison fait que les vérités du début de saison ne sont pas forcément celles du milieu ni de la fin…
C’est tout à fait vrai ! A partir de Barcelone, la FIA va enfin appliquer le règlement concernant la flexibilité des moustaches avant. Cela aura une influence, on ne sait pas encore laquelle mais, évidemment, Red Bull et d’autres disent que les McLaren vont perdre une partie de leur superbe, ce qui n’est pas impossible. Avec les caméras embarquées, quand on va sur celles qui concernent le museau et les moustaches, on a bien vu que celui des McLaren se déforme beaucoup…Cela ne m’appartient pas de dire si c’est trop mais, en tout cas, c’est beaucoup. Donc on va voir ce qu’il en est !
Cela va frapper tout le monde mais je pense qu’ils sont aux limites du règlement, ce qui est la loi de la F1, je ne les incrimine pas : pas vus, pas pris, c’est toujours la règle ! On va voir à Barcelone si, oui ou non, ça a une influence sur le rendement global et, surtout, sur le positionnement des écuries les unes par rapport aux autres. Mercedes, intrinsèquement, n’est pas très loin de McLaren je pense, on vient de le dire, Ferrari est un peu plus loin et Red Bull est beaucoup plus loin…Maintenant, on travaille tellement énormément dans ces écuries malgré le budget cap, on a tellement la capacité de faire évoluer les monoplaces que, déjà, celles que l’on va voir en Europe, avec des circuits proches des écuries, leur permettant d’apporter des nouveautés, peuvent redistribuer les cartes, dans la mesure où, en Arabie Saoudite, on avait, en qualification, 13 pilotes en 1 seconde, ce qui est du jamais vu en F1 !
Le changement de règlementation l’an prochain fera aussi, sans doute, que certaines écuries, qui auront moins d’enjeux à défendre, basculeront rapidement vers un développement uniquement de leur future monoplace…
Je pense que c’est vrai que pour toutes les écuries, à part les 4 grosses et Aston, qui a un budget énorme, avec le recrutement d’Adrian Newey et une nouvelle soufflerie. Je crois que certaines écuries vont choisir, à partir du début de l’été, de peut-être, effectivement, consacrer une partie de leurs forces et de leur budget à l’élaboration de la monoplace 2026, qui sera déterminante. Parce que, évidemment, elle va rester peu ou prou en l’état pour les années qui suivent…Pour autant, ça va dépendre des positionnements : je ne vois pas une écurie comme Ferrari sacrifier sa saison 2025, même si elle est mal engagée. Mais peut-être que, d’ici là, elle sera revenue dans le coup…La Formule 1 est tellement instantanée, la capacité de réaction est tellement rapide, les écarts sont tellement limités…On ne régresse pas, ce sont les autres qui progressent plus vite !
Pour terminer, que peut-on vous souhaiter pour la suite de cette très belle aventure radiophonique de F1 à RMC ?
Que ça continue ! Vous savez, je fais partie des gens heureux…On a toujours d’autres motifs, j’aimerais plus de place à l’antenne mais on doit la partager. C’est vrai que ce sont des choix qu’il ne m’appartient absolument pas de commenter mais il fut une époque où, effectivement, quand il y avait un grand prix de F1, il était priorisé et j’étais l’anchorman. Donc j’étais à l’antenne tout le temps avec Patrick pour tenir le direct mais ça ne nous empêchait pas d’aller au football, au rugby, au basket ou au vélo…Ce n’est plus le cas aujourd’hui, je ne le critique pas. Je suis passionné par ce que je fais, j’ai envie de le faire partager aux gens et, donc, je suis parfois frustré quand je n’ai pas l’antenne au moment où il se passe quelque chose….Même si on ne peut pas toujours le prévoir…
Donc pourvu que ça continue, pourvu que ça dure et pourvu que RMC reste la radio des sports en général et des sports mécaniques en particulier…Voilà ce que l’on peut me souhaiter !
Merci, Jean-Luc, pour toutes vos réponses !