Franck Borde évoque sa belle actualité artistique, sur scène et à l'image !
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Bonjour Franck,
Quel plaisir d’effectuer cette nouvelle interview ensemble !
En ce début d’année, votre actualité théâtrale est particulièrement riche, vous proposez trois spectacles différents avec votre compagnie. A titre personnel, on imagine sans doute la joie que cela doit être pour vous ?
En effet, quelle joie de pouvoir être sur scène ! Le théâtre permet la rencontre avec le public. Avec la compagnie du théâtre de l’estrade, on intervient sur ce que l’on appelle des publics dédiés, notamment le jeune public – collégien·es, lycéen·es, étudiant·es en fac-, ou encore des personnes femmes et hommes en centres de détention. A chaque fois, ce sont de belles rencontres et des échanges riches : on intervient en amont, en atelier, pendant trois heures, autour de la thématique du spectacle et de la pratique théâtrale, aussi de la dramaturgie de la pièce. On co-construit avec elles et eux une réflexion avant la représentation.
On est autonomes, on vient avec notre camion, notre décor et notre matériel, on peut ainsi s’implanter n’importe où, que ce soit dans un théâtre, dans un gymnase ou en extérieur. A l’issue de la pièce, on anime toujours un débat, en bord plateau pour échanger sur ce que les personnes ont ressenti, on partage leurs questions et leurs réflexions.
Humainement parlant, cette diversité de sujets et de publics doit être très enrichissante…
Pour moi, le théâtre est du spectacle vivant car on est dans la vie d’aujourd’hui, on est dans la société d’aujourd’hui, ces échanges-là sur ces thématiques diverses permettent, en effet, de prendre le pouls, notamment de cette jeunesse.
Le spectacle « Morphine », de Boulgakov raconte la descente aux enfers d’un jeune médecin, qui rencontre la morphine puis la cocaïne, le processus de l’addiction, avec ce que ça s’implique : le sentiment de pouvoir, le mensonge, la violence, jusqu’à la mort du personnage. Avec les ados et les jeunes, on échange sur ce sujet : selon les générations, ça ne va pas être les mêmes produits, ni le même rapport à certains produits, par exemple ils ont entièrement conscience de l’addiction aux écrans, qui est très forte. Donc on questionne tout cela avec eux…
Plus concrètement, quels sont les thèmes et sujets évoqués dans chacun des spectacles proposés ?
Il n’y a pas de spectacle vivant sans partenaires, je vais en profiter pour citer nos partenaires, qui sont très importants dans le spectacle vivant. On a la chance d’être soutenus, notamment pour « Morphine », par l’ARS, l’Agence Régionale de Santé, ainsi que la MILDECA, la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives.
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Nous jouons également « Le problème Spinoza », d’Irvin Yalom, un auteur américain. Cet ouvrage fait partie de ses best-sellers, c’est un livre d’à peu près 500 pages, où il met en parallèle la vie du philosophe Spinoza - comment il va s’émanciper de sa condition, de sa communauté religieuse et de sa famille, en remettant en question notamment le dogme dans sa religion – et Alfred Rosenberg, historiquement l’idéologue du parti nazi, qui a construit sa pensée autour du rejet et de la haine de l’autre. C’est l’histoire d’une radicalité philosophique et d’une radicalité idéologique. Ces deux formes de radicalités sont, ainsi, mises en parallèle et on va questionner la construction de la pensée, la construction de soi. Il me semble qu’aujourd’hui, c’est d’autant plus d’actualité avec tout ce qui se passe. Nous n’apportons pas de réponse toute faite, ne voulant pas nous-mêmes être dans l’idéologie. Par contre, on est là pour questionner le public : on pose des questions pour ensuite essayer de co-construire une pensée ensemble.
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Sur cette pièce, on est soutenus par la DILCRAH, la Délégation Interministérielle de Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti LGBT et le FIPDR, Fond Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation.
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On a créé le premier spectacle « Morphine » il y a 10 ans, le deuxième « Le Problème Spinoza » il y a 5 ans et là, on vient de créer « Bambi, ou Marie parce que c’est joli… ». Les trois tournent : on est à plus de 150 représentations pour « Morphine », on approche les 100 représentations pour « Le problème Spinoza » et on commence les premières représentations avec « Bambi ».
Ce dernier spectacle, soutenu par la DILCRAH encore une fois, est l’adaptation d’un roman de Marie-Pierre Pruvot, « Marie parce que c’est joli ». Elle est née Jean-Pierre, en Algérie, dans les années 30, et a très vite senti qu’elle n’était pas en adéquation entre ce qu’elle était et ce que les gens voyaient d’elle. Dès l’âge de 4 ans, elle se sentait fille…Dans le spectacle, on voit tout son rapport avec sa mère, tout son questionnement, elle vient à 17 ans à Paris et intègre le cabaret « Madame Arthur » puis deviendra la tête d’affiche du cabaret le Carrousel et fera des tournées internationales.
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Elle est l’une des premières personnes trans publique en France. Dans son parcours, Marie-Pierre va vite comprendre que d’autres personnes au cabaret vont prendre sa place et décide de suivre des cours par correspondance, à 5 heures du matin, en rentrant du cabaret. Elle reprend ses études et devient professeure de français, d’abord dans le 93 puis dans le nord de la France. Après avoir été sous les feux des projecteurs aux cabarets, elle retrouve l’anonymat le plus total. A la fin de sa carrière, elle reçoit les palmes académiques, une très grande reconnaissance pour les professeur·es. Une fois à la retraite son passé la rattrape, elle recommence à faire des interviews, des ancien·nes élèves la reconnaissent dans des émissions de radio et lui écrivent. Ils l’adulaient en classe mais ne connaissaient pas du tout son parcours…Aujourd’hui, elle a 89 ans et elle accompagne le spectacle !
Au-delà de la dimension humaine, ces différents spectacles sont l’occasion de palettes de jeu larges et variées…
Oui, la palette de jeu est très large, avec tous ces personnages. On travaille en compagnie, on s’agrandit de plus en plus…Benoit Weiler, en plus d’être médecin, est le directeur depuis plus 20 ans, ses compétences nous permettent d’élargir le champ artistique pour nourrir ce que l’on porte, c’est le pilier de la compagnie sans qui rien ne serais possible. Delphine Haber est une comédienne intense et brillante, elle fait également de la formation en prise de parole en public, en gestion de conflits, elle est un soutien important pour la technique de l’acteur·rice et pour la dramaturgie des pièces. Sébastien Dumont joue à présent, lui qui est aussi chorégraphe et vidéaste, il enrichie toutes nos créations de ses différentes propositions artistiques, il a une capacité de travail hors-norme. Nos créations sont vraiment multi médias : on a de l’art scénique, avec de la musique et de la vidéo. Geoffrey Dugas, notre talentueux musicien et compositeur, joue, ainsi, en direct ses compositions. Ensemble, en résidence, on cherche comment raconter une histoire, en utilisant les compétences et les parcours variés de chacun·e.
Depuis quelques années, Christelle Barrillet, notre administratrice, nous accompagne pour trouver des financements et pour gérer la structure, indispensable pour pérenniser notre travail. C’est une chance de l’avoir à nos côtés. Lorena Caniaux nous a rejoints récemment, pour nous accompagner sur les différents volets de la production. On est une très belle équipe qui relevons le défi du travail en compagnie et en collectif depuis plus de 20 ans !
Pour en revenir à votre question, on essaie de rester avec cette équipe que l’on fidélise. Selon les spectacles, des médias ou des comédien·es ont des partitions plus ou moins grandes. En tout cas, on joue tous en général plusieurs personnages. Sur « Le problème Spinoza » par exemple, on a 13 personnages pour 4 comédien·es…C’est un beau ratio !
On peut donc dire que le questionnement est le dénominateur commun à tous ces spectacles, sans pour autant, vous l’avez dit, donner une réponse unique…
Dans une pièce de théâtre, il y a ce que l’auteur·rice a voulu dire, il y a également ce que nous voulons raconter dans l’adaptation mais le reste, ensuite, nous échappe. Le public, suivant son vécu, ne va pas voir la même chose et, parfois, deux personnes d’un même public ne voient pas forcément la même histoire. C’est ce qui est beau au théâtre ! On est là pour ouvrir le débat…
Les ateliers en amont, de trois heures, sont également très intéressants, on est alors des facilitateurs. Notre rôle n’est surtout pas de donner notre point de vue mais d’accompagner la parole de l’autre. C’est ce que l’on essaie de faire, notamment avec de jeunes adultes en construction de pensée : on ne leur dit pas quoi penser, on leur dit que l’on peut penser certaines choses mais qu’il faut savoir les mettre en mots pour que ce soit le plus construit possible, tout en restant dans certaines limites, du respect de l’autre et de la loi notamment. Notre société nous donne droit à la liberté d’expression, mais reste encadrée, pour le bien vivre ensemble. On questionne donc comme faire société aujourd’hui et demain…
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Plus globalement, quels principaux retours pouvez-vous avoir des structures qui vous accueillent ?
Les retours sont excellents. Pour « Morphine », sur la prévention / addiction, on a des partenaires, comme le collège Berthelot à Montreuil, qui souhaite que toutes leurs classes de troisième voient le spectacle chaque année, pour que toute une génération soit éveillée au processus et aux risques de l’addiction. On n’est pas dans un discours à juste dire que la consommation de substances est mal, on leur dit que l’on rencontrera tous, dans nos vies, des produits mais qu’il est important de comprendre le processus d’addiction pour détecter à quel moment on se met en danger, à quel moment on met en danger les autres, à quel moment une petite lumière rouge doit s’allumer pour oser demander de l’aide. A la fin des spectacles, des personnes ressources de la ville sont là pour accompagner le processus une fois que nous sommes partis.
On a récemment joué « Bambi » à Moissy-Cramayel, ce fut un important projet porté par le grand Paris sud, la Médiathèque et le théâtre La Rotonde. On avait des ateliers dans trois villes différentes. Il faut trouver des professeurs qui nous laissent du temps, et qui comprennent que c’est important pour leurs élèves de se questionner sur l’identité et sur l’autre. On se rend compte qu’une fois que l’on en parle et que l’on fait tomber les stéréotypes et les préjugés, on est tout de suite plus dans la compréhension et la reconnaissance de l’autre dans sa différence.
Très simplement, que peut-on vous souhaiter pour la suite de cette belle aventure ?
Que les soutiens restent ! C’est vrai que c’est compliqué en ce moment, on sent que des coupes s’annoncent et on ressent même les premiers impacts. On peut donc nous souhaiter que l’on puisse continuer à porter ces spectacles et ces ateliers de prévention. Pour cela, il faut que les financements perdurent !
Aussi que l’on poursuive nos belles rencontres et que d’autres portes s’ouvrent encore…Il y a plein de choses à faire ! Notamment un quatrième spectacle dans quelques années…
En complément, vous avez rejoint, il y a quelques mois, la quotidienne de France 3 « Un Si Grand Soleil », sous les traits de Nicolas, le conservateur du musée. Certainement que cela doit vous faire particulièrement plaisir ?
C’est vrai que c’est un plaisir, à chaque fois, de descendre au soleil. C’est agréable de retrouver une quotidienne, un format que j’ai toujours défendu et qui n’est pas loin du théâtre que je fais, finalement. Je trouve que la quotidienne parle aussi de sujets de société. Mon personnage n’a pas encore été confronté à cela, on est, pour l’instant, sur quelque chose de plus léger. C’était beaucoup plus le cas sur « Plus Belle La Vie », où je jouais le juge Estève, amoureux de Thomas. On était un des premiers couples homosexuels, sur France 3, à cette époque-là.
C’est également un plaisir de retrouver les équipes, je connaissais beaucoup de ses membres, que je n’avais pas revus depuis 15 ans. J’ai la chance de jouer avec Nadia Fossier, une comédienne absolument extraordinaire, humainement et artistiquement. C’est une très très belle rencontre, avec quelqu’un à la palette de jeu incroyable.
J’ai commencé en mars l’année dernière, je devais arriver pour deux mois mais ça continue. On verra bien où ça ira…En tout cas, c’est vrai que c’est particulièrement agréable aussi de retrouver les studios et ce travail à la caméra. J’ai besoin du théâtre pour me nourrir et arriver à l’image avec une certaine technique, rempli de quelque chose de la scène. Mais l’image me permet aussi d’aller chercher plus en moi, intérieurement, et de revenir au théâtre avec quelque chose de plus centré.
En plus des studios, qui sont à la pointe de la technologie, la ville de Montpellier et ses alentours vous permettent des conditions de tournage très plaisantes…
C’est très plaisant ! J’ai découvert la ville et je pourrais en tomber fortement amoureux. C’est une belle ville, les gens sont chaleureux, c’est très agréable d’y vivre.
En effet, la série est à la pointe de la technologie, elle est avant-gardiste sur beaucoup de choses, sur de nouvelles technologies, où de nombreux essais sont faits. Il n’y a pas longtemps, avec Nadia on a été voir la postproduction et toutes les petites mains qui travaillent en coulisses. Ce qu’ils font est incroyable, les avancées en effets spéciaux sont impressionnantes.
Il y a environ 300 personnes par jour qui travaillent, avec 4 équipes en parallèle, dans une organisation écologique. On voit qu’une attention toute particulière y est portée : on prend le train plutôt que l’avion, les déchets sont recyclés, on utilise des gourdes plutôt que des gobelets en plastique, …Cela fait partie de convictions qui me plaisent bien !
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Quel regard portez-vous sur Nicolas, votre personnage ?
Pour l’instant, il y a encore toute une part du personnage que l’on n’a pas explorée. Au départ, on s’est demandé si Nicolas était réellement sincère, au moment où Alix l’accuse d’avoir cambriolé la galerie mais, au final, ce n’était pas lui. Cela avait d’ailleurs engendré la première séparation. Ces deux personnes – Alix et Nicolas – se complètent par leurs différences. Chez Alix, il y a quelque chose de très border line, avec la légalité notamment, elle est dans une folie et a besoin d’une structure, alors que Nicolas, lui, est dans une certaine structure, il a besoin de vérité mais aussi de folie. Je trouve cela très juste : souvent, dans la vie, dans les relations amoureuses, on peut être soit en miroir soit en opposé, on va chercher soit quelqu’un qui nous ressemble, soit quelqu’un de différent, qui nous emmène ailleurs. Ces deux personnages-là cherchent la différence chez l’autre mais, après, cela pourrait devenir compliqué : est-ce que ça va tenir ? Ou pas ?
Il y a toute une partie de Nicolas que l’on ne connait pas : qu’a-t-il fait avant ? Est-il finalement aussi droit que cela ou cache-t-il certaines choses ? A-t-il une famille ? C’est toute la magie des scénarios…On verra bien !
Tant dans ses vêtements que dans sa posture, on sent en lui toute la passion de son beau métier…
Oui, c’est un passionné d’histoire, réellement, un passionné des tableaux…Le décor du musée est magnifique, c’est splendide ! On ne sait pas non plus de quelle famille il vient…Forcément, en attendant, je me raconte ma propre histoire dans ma tête. En tout cas, cette relation avec Alix est belle, on a beaucoup de complicité avec Nadia, c’est un vrai plaisir de se retrouver !
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Avez-vous déjà eu l’occasion de premiers retours des téléspectateurs depuis votre arrivée dans la série ?
Cela a changé…Sur la première intrigue, on est venu me voir pour me mettre un peu en garde sur ce que j’allais faire à Alix. Les téléspectateurs que je rencontrais pensaient vraiment que j’allais lui faire à l’envers. Alix est un personnage très aimé du public donc, forcément, je pense qu’il y avait là une sorte de protection vis-à-vis d’elle. Maintenant, on a plein de témoignages de gens qui nous disent aimer notre couple et qui trouvent que l’on se complète bien. Le public semble donc se projeter dans ce couple aimant et protecteur.
Sans doute que vos expériences théâtrales et celle d’une première quotidienne vous aident à soutenir le rythme élevé du tournage ?
Le rythme sur une quotidienne est soutenu, on n’attend pas un comédien qui ne sait pas suffisamment son texte ou qui n’est pas prêt, il faut que ça avance ! J’en avais déjà totalement conscience et comme Nadia est aussi une grosse bosseuse, on travaille beaucoup en amont. On arrive sur le plateau texte su au cordeau, pour ne pas faire perdre de temps à l’équipe et pour prendre le plus de plaisir possible. Car c’est bien là l’objectif, comme sur scène d’ailleurs.
Merci, Franck, pour toutes vos réponses !