Joyeuses Pâques : Dominique Frot évoque la pièce, actuellement à l'affiche au théâtre Marigny !
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Bonjour Dominique,
Quel plaisir d’effectuer cette interview avec vous !
Vous êtes sur scène, jusqu’à la fin avril, au théâtre Marigny, avec la pièce « Joyeuses Pâques ». A titre personnel, on imagine sans doute la joie que cela doit être pour vous ?
Oui, oui, je suis très heureuse, j’ai beaucoup de chance de retravailler dans le théâtre privé. Nicolas Briançon m’avait appelée pour un rôle qui n’était pas initialement celui que je joue. Il m’a rappelé après notre premier échange pour me proposer celui de la bonne. J’ai eu un élan, dès le premier instant, pour ce personnage parce que j’y lisais du silence qui parle. Aujourd’hui, tout le monde parle, tout le monde s’exprime et, finalement, on n’entend plus grand-chose. Par contre, quand on se tait, ça peut créer un malaise ou ça peut créer un esclandre ou alors on pense que la personne est malade. Pour moi, le silence contient ce que l’humanité contient, c’est-à-dire un doute et l’être humain est alors interloqué. Il ne sait pas alors d’où il vient ni où il va. Encore plus dans notre société où tout le monde demande d’où vous venez, où vous allez et où les gens répondent généralement de façon assurée et sûrs absolument d’aller et de revenir du boulot. J’ai voulu faire de ces silences quelque chose d’autre que quelque chose qui crée du malaise ou une idée de problème. J’ai voulu ramener l’humanité et retrouver le premier silence, comme ce fut sans doute le cas lorsque le premier Homme sur terre avait croisé pour la première fois son miroir, à savoir le deuxième Homme présent sur terre.
Lors de chacun de vos passages sur scène, les gens rient gaiement, votre interprétation plait beaucoup. Sans doute que cela doit faire partie des retours que vous pouvez avoir du public ?
J’ai de la chance, il n’y a pas un spectateur qui m’a dit être embêté par ce que je fais. Les gens sont étonnés, trouvent mon personnage extraordinaire, ils l’adorent…C’est une chance ! Je n’interprète pas cela, je reçois simplement comme un cadeau. Je me dis que, humainement, ils ont entendus quelque chose qu’ils ont besoin d’entendre. Puisqu’ils aiment ce personnage, alors qu’il ne ressemble pas à ceux que l’on voit tous les jours, c’est que dans ces choses un peu inexplicables, ils ont retrouvé et perçu quelque chose de leur silence à eux. Alors même que l’on parle tout le temps, sous ce parlé permanent, c’est un grand silence. Aujourd’hui, la façon de se taire, c’est parler. Si on veut être comme les autres, il faut parler, tout le temps, questionner parce que, sinon, on nous questionne.
Oui, les gens aiment ces silences. Généralement, ils me parlent aussi de cette scène où, au milieu de la pièce, mon personnage lance un peu la beuverie. Mais, en fait, j’ai pris des tournants, j’ai fait arriver cette fille comme si c’était un langage qui n’est pas pour elle. Elle s’est glissée dans ce langage comme on se glisse dans un pays qu’on ne connait pas, elle est pour moi en exil et elle a été recueillie. On pourrait dire ça, bien que, quand je travaille un rôle, je ne me fais pas des histoires comme cela, des contes de fée, bien au contraire. Elle est en exil, elle a pu être repêchée, migrante, par des bourgeois. Elle ne sait pas d’où elle vient, elle n’est pas dans son langage. Ces gestes qu’elle a de porter des plateaux, de servir des tasses, ne ressemblent à rien pour elle, elle les fait automatiquement parce que ça lui donne le droit d’être là. Elle ne peut pas y être, son corps est nécessairement quelque part mais, comme il n’y a plus de quelque part pour elle, elle est posée, là, dans ses gestes, dans ce langage, parmi des gens qui ont des douleurs et des souffrances qui ne ressemblent à rien de ce que son corps peut avoir en mémoire. Si sa raison et si son cerveau n’ont pas une mémoire raisonnable des choses, son corps l’a. Donc elle a posé ça là, elle n’a pas d’autre lieu, elle a peur en fait.
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En même temps, ce n’est tellement pas son langage, le sien c’est le silence, la lenteur et elle est sur un lieu où la lenteur n’existe pas, où on fait des gestes pour quelque chose, où on veut quelque chose, où on se bat pour quelque chose, où on ment. Tout cela comme si elle ne connaissait pas. Pour moi, ses silences transportent cela. Curieusement, quelqu’un comme Nicolas, très concret, les pieds sur terre, très réel, a un petit peu besoin de savoir les choses avant qu’elles ne soient. Je pense que lui-même, dans la vie, pourrait être dérangé par ces silences. L’homme qu’il joue est dérangé par ce silence donc il a besoin d’y mettre une interprétation comme s’il y avait un problème chez cette femme. Il y a donc cette confrontation intéressante parce qu’elle est presque vivante. C’est peut-être un peu de lui dans la vie, qui est un homme qui travaille avec beaucoup de rationnel et cela était très enrichissant pour moi de voir quelqu’un travailler sur cette zone-là.
En tout cas, ce rôle vous permet une palette de jeu très large et très diversifiée…
Si je peux souligner quelque chose, jouer au théâtre privé et faire rire les gens, quel bonheur ! La première partie de la pièce, je la joue presque sur la tragédie donc je passe par une sorte de tragédie pour, après, être une femme avec, à un moment, une rupture. Elle doute beaucoup de pouvoir dire quelque chose sur sa fragilité d’être là. En même temps, elle est, quelque part, embêtée par ces gens qui ont des souffrances qu’elle ne reconnait pas. A un moment, il y a une goutte d’eau qui fait déborder le vase et qui fait que, quand la maitresse lui dit qu’ils ne seront que trois à table, avec l’histoire de la poule au riz, il y a une manifestation de refus. A partir de là, quelque chose dont elle aurait douté jusque-là, dont elle n’aurait pas voulu se donner la preuve apparait, à savoir que ces gens ont une vie de mensonges et de souffrances, qu’ils ne sont pas conscients à quel point les êtres humains peuvent souffrir. Les gens sont enfermés dans leur maison, avec leur jalousie et leurs ambitions, pendant que les migrants perdurent par exemple. Chacun renie en rentrant chez lui ce qui se passe dans le monde, du moment que son petit chez lui existe. Donc, à un moment, la bonne dit non à tout cela, elle passe par la beuverie. Après, je ne sais pas où elle va…En tout cas, je voulais insister sur la joie de faire rire, tout en ne cherchant pas le rire !
Merci, Dominique, pour toutes vos réponses !