Bonjour Audrey,
Merci de nous accorder un peu de votre temps pour répondre à quelques questions pour le blog !
Très heureuse d'être là !
1/ Vous êtes actuellement à l’affiche, au théâtre du Nord-Ouest, de la pièce « Andromaque » où vous y interprétez le rôle d’Hermione. Pour commencer, pour ceux qui ne les connaîtraient pas encore, pourriez-vous nous présenter l’histoire ainsi que les principales caractéristiques de votre personnage ?
Après la guerre de Troie, Andromaque et son fils ont été capturés et attribués comme trophés de guerre à l'un des rois et guerriers les plus puissants de Grèce : Pyrrhus. Celui-ci est supposé épouser Hermione, princesse Spartiate, alliance très importante sur le plan politique. Quand la pièce commence, cela fait un an qu'il repousse le mariage, quitte puis reprend Hermione sans arrêt, au grand désespoir de celle-ci, car celle qu'il désire en réalité, c'est son esclave Andromaque qui le rejette. Il menace son fils en vain pour tenter de la faire céder à ses avances. Dans cette situation très tendue arrive Oreste, ancien amant d'Hermione, qu'il aime encore comme un fou, mais qu'elle n'aime pas. Ce quatuor amoureux va passer par tous les stades de la passion, du désespoir, de la violence, pour finalement aller jusqu'au meurtre et au suicide. Malgré un langage très beau en Alexandrins, c'est une pièce viscérale, de passion, et à mon sens intemporelle.
J'interprète le rôle d'Hermione. C'est un personnage que j'avais toujours rêvé de jouer : elle est mythique dans le répertoire ! Une femme forte de la dimension d'une Lady Macbeth. Hermione est une jeune princesse très marquée par sa filiation (sa mère était la plus belle femme du monde : Hélène, pour qui son pays s'est battu pendant des années, la fameuse guerre de Troie.... pas simple d'être à la hauteur de ce modèle). L'honneur, la gloire, la renommée sont des notions très concrètes pour elle. Elle est constamment rejetée par Pyrrhus, et ça la blesse d'autant plus qu'elle l'aime profondément, c'est une blessure profonde et répétée, qu'elle subit avec honte depuis des mois. C'est donc une femme amoureuse, déchirée... mais cela ne se traduit pas par une attitude de tristesse désespérée et passive. Elle a un tempérament de feu. Quand elle est blessée elle attaque. C'est une égoïste, dans la pièce elle est très souvent manipulatrice, violente, méprisante... En gros une femme toxique ! Fascinante et dangereuse. Particulièrement pour Oreste dont elle se sert sans vergogne pour parvenir à ses fins et assouvir sa vengeance. Elle se sert de lui, comme Pyrrhus se sert d'elle. Au final, je la trouve très touchante dans sa folie... et humaine en fait. Mais quand on joue un personnage, on ne peut que l'aimer et le comprendre, sinon l'excuser. Dans le cas contraire on finirait par jouer une caricature de méchante, sans profondeur.
2/ Jouer une pièce historique aussi noble implique-t-elle une adaptation artistique particulière, comparativement à des œuvres plus contemporaines ?
Bien sur pour un spectateur non averti, le pitch de la pièce peut sembler un peu ardu, et moins accessible que « Deux hommes tout nus », c'est clair ! Particulièrement dans sa forme. Avec les alexandrins, on n’a pas le choix, il faut faire un vrai travail d'incarnation et de sincérité pour ne pas rendre les personnages ampoulés et... chiants quoi. Après on a de la chance avec ce classique là: Andromaque est à mon sens beaucoup plus « parlant » pour un spectateur d'aujourd'hui que beaucoup d'autres pièces de Racine parce que je texte est très vivant et clair dans le sens. Cette pièce en particulier n'est pas que noble : elle frémit, elle brule de pulsions, de frustrations... elle est folle, trash et grandiose à la fois.
Après il y a mille façons de jouer Andromaque, et rien qu'en cherchant sur internet vous pouvez trouver une flopée de vidéos, souvent assez atroces (je trouve;-) ) et très différentes de plusieurs mises en scène de la pièce. Chaque metteur en scène a son avis la dessus, et souvent même chaque spectateur attend quelque chose de particulier quand il vient voir un « classique » comme Andromaque.
Ici Patrice Lecadre a voulu travailler la pièce dans un sens très particulier : faire vivre sur scène la vérité des personnages, le désir, la violence, la passion, dans une incarnation très naturelle à l'opposé des déclamations classiques. On fait vivre le texte de façon la plus naturelle possible. En cela la mise en scène est très moderne. Mais Patrice a aussi voulu garder la dimension de la tragédie. On est pas dans une vision ultra contemporaine de la pièce, ou le texte serait dit de façon neutre. On reste dans une tragédie et on l'assume ; les sentiments sont fous, extrêmes ? Nous les vivons avec toute leur intensité sur la scène. Parce qu'on veut être vrais.
3/ Récemment, la distribution a évolué au travers de l’intégration de Fabien Floris pour reprendre le rôle de Pyrrhus. Cela vous impose-t-il une évolution dans votre jeu et votre interprétation ? De même, quelle valeur ajoutée cela apporte-t-il à la pièce ?
Alors sur ce point je suis partiale : Fabien Floris est mon compagnon dans la vie ! Son arrivée dans la troupe s'est fait dans des circonstances assez folles : le comédien qui incarnait précédemment Pyrrhus a quitté le spectacle de façon plutôt inattendue, et il a fallu le remplacer en trois semaines. Fabien a du apprendre le texte en un temps record. Patrice a eut confiance en lui et ils ont beaucoup aimé travailler ensemble même s'il n'y a eu que très peu de répétitions. C'était un pari fou, sans filet. Je trouve incroyable qu'il ait réussi à se glisser aussi brillamment dans la peau de Pyrrhus dans ces circonstances ! Et c'est un vrai plaisir de partager la scène avec lui, même si nous n'avons qu'une seule scène ensemble dans la pièce. Nous avions déjà joué ensemble dans de nombreux spectacles (c'est d'ailleurs comme ça qu'on s'est connus... il jouait mon frère:-) ! ), et on a une super complicité en jeu, alors c'est juste du plaisir en barres pour nous, même de s'échanger toutes ces horreurs et ce désespoir. Non, non, on n’est pas masos-;-)
Ce changement de partenaire nous a tous donné l'occasion d'être de nouveau surpris : avec un bouleversement pareil, on est loin de la routine. De toute façon le théâtre est un art vivant, et chaque représentation est différente de la précédente, mais là, c'était un concentré d'instantané. On a tous redécouvert le Personnage de Pyrrhus et le texte autrement, et je pense que ça nous a permis d'aller encore plus loin dans nos personnages. De nous « renouveler » même si ce n'est pas vraiment le bon mot. En tout cas pour moi c'est un vrai plus, et je trouve que ma scène avec Pyrrhus a vraiment pris de l'ampleur.
4/ L’interprétation faite met en avant des choix forts, notamment au travers de la nudité ponctuelle de certains personnages. Comment vous sentez-vous dans pareille situation ? Le jeu prend-il alors facilement le dessus face à cet état corporel singulier pour une représentation théâtrale ?
Je ne suis pas fan de la nudité au théâtre quand elle est gratuite. Mais justement ici je trouve qu'elle ne l'est pas. Patrice m'avait parlé d'emblée de cet aspect quand il m'a proposé le rôle, et dans sa vision des personnages ça m'a immédiatement parlé. Elle est je trouve d'autant moins gratuite qu'elle est mise en lumière de façon magnifique. Les corps sont sublimés, on dirait des tableaux. On est loin d'une nudité crue et voyeuriste.
Après bien sur, j'ai ressenti une certaine appréhension au tout début des répétitions, le temps de créer une complicité avec mon partenaire, de dépasser ma pudeur et mes complexes. Mais très rapidement, la situation était tellement forte, c'était tellement logique dans le personnage, que j'en ai fait totalement abstraction (en tant que comédienne), et que c'est même devenu nécessaire à mon personnages. J'en ai pris encore vraiment conscience un jour où mon bras s'est coincé dans ma robe : impossible d'enlever le haut... eh bien je vous garanti qu'après ça a été beaucoup plus dur pour moi d'être dans le bon état pour mon monologue. Il manquait cet élément pour que la sensation d'humiliation et de rejet soit totale !
5/ Aimeriez-vous prolonger la pièce pour l’année prochaine ? De façon plus générale, quels sont vos autres projets et envies artistiques du moment ?
Finalement la pièce est prolongée jusque fin février ! C'est une super nouvelle. On aura cette fois plus de représentations à 17 h le weekend, ce qui sera plus pratique pour les spectateurs.
En ce moment je monte une compagnie avec plusieurs amis comédiens ; ils sont ma famille de théâtre et nous avons de supers projets ensemble. Je vais notamment mettre en scène Le Circuit Ordinaire de Jean-Claude Carrière et nous écrivons un spectacle pour enfants.
Je commence aussi à travailler dans le doublage. J'adore le travail de la voix. Ca fait un an que j'ai commencé, je commence à décrocher quelques jolis rôles. Je me lance quoi !
Je travaille aussi avec la Compagnie Le Miroir aux Gens, avec qui je joue un spectacle sur l'alcoolisme, Al. C'est une pièce très forte, que nous jouons auprès des centres, du personnel médical, des patients ou de l'entourage. C'est un théâtre vraiment utile, de proximité, qui a un sens. J'aime beaucoup jouer dans ce type de théâtre engagé. D'autant plus que les échanges avec le publics sont toujours bouleversants et riches en partage.
6/ Vous avez commencé la scène très jeune, dans des pièces comme « Ubu roi » ou « Les sorcières de Salem ». D’où vous vient cette passion pour le théâtre ?
J'ai commencé en faisant des tout petits rôles dans les pièces dans lesquelles mon père jouait en tournée. Pour mon premier rôle : j'avais 5 ans et je faisais une petite fille dans les Sorcières de Salem à l'ancien Festival de Rocamadour. Mon père est comédien. Non il n'est pas du tout connu, je ne suis pas une « fille de ». Mais ça c'est sur il m'a refilé le virus ! D'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours regardé cachée dans les coulisses, l'oeil collé à un trou du décor, complètement fasciné. Je n'avais aucun doute : plus tard, c'est ça que je voulais faire.
Pour être honnête je voulais être une comédienne-chirurgien-qui-travaille-dans-l'humanitaire. Mais on m'a fait comprendre que ce serait compliqué ;-) Depuis cette époque là j'ai toujours joué, mon père m'a offert mon premier rôle principal dans Antigone d'Anouilh, j'avais 15 ans. Je lui dois la plus grande passion de ma vie. On adore se retrouver sur scène ! En ce moment nous travaillons sur un spectacle qui s'intitule Amitié, ce sera la première fois qu'on ne sera que tous les deux sur le plateau.
7/ Pour finir, qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs du blog pour les encourager à s’intéresser à l’art et, en particulier, à venir au théâtre ?
Franchement avec billet reduc, une place de théâtre, c'est encore moins cher qu'un Mac do ! Voilà déjà ça c'est pour ceux qu'ont pas une thunes, et qui croient qu'ils n'y a que des théâtres qui font payer des fortunes à Paris. Une fois ça établi, je dirais qu'il faut avoir la curiosité de voir autre chose que des des comédies ou des one man : attention je n'ai aucun jugement vis à vis de ces spectacles ! Mais c'est juste que l'horizon théâtral se réduit de plus en plus et hélas ce sont les seules pièces qui marchent. C'est d'autant plus dommage que des spectacles magnifiques se débattent pour faire 20 spectateurs par soir...
L'appauvrissement culturel est dangereux, il faut être curieux, s'ouvrir à ce qui est différend. Alors prenez le risque d'aller voir des classiques, des drames, des pièces contemporaines, etc, qui aborderont plein de sujets différents. La diversité exerce votre œil critique. Ne pas aimer un spectacle, c'est super, mais oui ! Parce que c'est déjà s'ancrer, prendre position dans l'art, développer votre goût artistique. Telle ou telle mise en scène vous plaira ou non, mais ce n'est pas parce qu'un Racine ne vous aura pas plus que ce sera le cas du suivant. Et découvrir un jour que vous avez adoré un Shakespeare, ou une pièce de Victor Hugo si vous ne les connaissez pas, whouaou quel kif, vous verrez !
Ce fut un plaisir, Audrey, d’effectuer cet entretien en votre compagnie !
Merci beaucoup Julian !